Conte tiré de l’ouvrage de Dominique Blondel – Contes de Sagesse des Quatre Éléments
Il était une fois, en des temps très anciens, un dragon. Un dragon assez paresseux, qui ne croquait, par-ci par-là, que quelques chevaliers d’aventure qui cherchaient fortune. Car chacun le sait, les dragons sont les gardiens de trésors fabuleux. C’était un brave dragon qui ne demandait rien à personne et vivait en paix avec le voisinage.
Un jour un chevalier, tout bardé d’acier et hérissé d’armes, vint devant sa grotte. Il commença à l’insulter et le somma de sortir de son antre pour lui livrer combat. Le dragon entrouvrit un œil, pestant contre ces humains qui venaient toujours l’ennuyer au moment de la sieste, et demanda à l’homme:
- Que me veux-tu, toi ?
- Viens, viens te battre avec moi, je veux te combattre et te terrasser.
Le dragon soupira :
- Un de plus. Et pourquoi veux-tu te battre ?
- N’es-tu pas gardien d’un trésor fabuleux ?
- Sans doute.
- Je veux ton trésor. Si tu ne sors pas de ta grotte j’irai te chercher.
Le dragon ouvrit les deux yeux, bâilla, se gratta derrière l’oreille avec délicatesse car il venait de s’aiguiser les griffes (c’était en effet un dragon coquet) et répondit aimablement :
- Écoute, humain, aujourd’hui je suis repu. Le dernier d’entre vous qui est passé, la semaine dernière était un peu rance et me reste encore sur l’estomac. Et puis, vous m’agacez un peu, avec vos histoires de trésor. J’ai envie de finir tranquillement ma sieste. Aussi je te propose un marché : je te laisse entrer librement dans ma grotte, y chercher ce que tu veux, et l’emmener. Tout ça sans combat, et surtout sans bruit car j’ai l’oreille délicate. Mais sache-le : parfois on trouve ce que l’on cherche, sans avoir ce que l’on désire. Et parfois ce qu’on laisse est plus important que ce qu’on emporte. À toi de voir…
Le chevalier le regarda d’un air stupéfait, puis descendit de son cheval, avec quelque méfiance. Mais le dragon ne bougea pas d’une écaille, et le laissa passer sans mot dire. Derrière l’homme en armes apparut un jeune garçon terrorisé, qui le suivait comme son ombre. D’une griffe légère, le dragon l’arrêta :
- Et toi, que fais-tu là ?
- Je suis l’écuyer du chevalier, bégaya le garçon. Je dois le suivre et le servir en tous lieux.
- Tu as entendu ce que j’ai dit à ton maître ?
- Oui, seigneur dragon.
Le dragon sourit alors, découvrant ses dents scintillantes et tranchantes :
- « Seigneur dragon » ! En voici un de poli, pour une fois ! C’est bien, dit-il au garçon. Emporte ce que tu veux, toi aussi. Va.
Les deux hommes s’enfoncèrent dans la grotte, ce qui en soi était déjà un exploit, car les dragons ne sont pas réputés pour leur talent à ranger et faire le ménage, et celui-ci habitait les lieux depuis des temps et des temps. Évitant de glisser et se bouchant le nez, ils aboutirent devant un couloir qui s’enfonçait sous terre, éclairé de l’étrange lueur de champignons phosphorescents. Ils descendirent ainsi encore et encore, perdant toute notion du temps et de la distance qu’ils avaient parcouru. Enfin ils arrivèrent à l’entrée d’une vaste salle dont le plafond se perdait dans l’ombre loin au-dessus d ‘eux.
Cette fois des torches étaient accrochées tout autour de la salle et éclairaient d’un feu chatoyant un amoncellement de coffres emplis de toutes sortes de métaux et de joyaux. Le chevalier jeta au loin son épée et se précipita vers les premiers coffres, puis les suivants, puis d’autres encore, plongeant les mains ici et là, prenant et rejetant, mettant dans un vase des joyaux qu’il abandonnait ensuite pour emplir une jarre de pièces et la vider l’instant suivant pour la remplir à nouveau de pierres. Bientôt, il disparut dans la salle, qui paraissait grandir de plus en plus, et l’écuyer n’entendit plus qu’un son tintant qui s’éloignait progressivement.
Perplexe, le garçon regarda autour de lui.
- Maître ? appela-t-il d’une voix timide. Mais la salle ne lui renvoya qu’un écho vide.
Se rappelant l’autorisation du dragon, et en attendant que son maître réapparaisse, il chercha autour de lui ce qu’il voulait emporter. Bien sûr, les richesses offertes étaient tentantes, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas ce qu’il désirait qu’il y avait là quelque chose d’une toute autre valeur. D’ailleurs, le dragon n’avait-il pas dit « on trouve ce qu’on cherche sans avoir ce que l’on désire » ?
C’est alors qu’il vit, derrière une colonne, une toute petite porte masquée par l’ombre. Il s’en approcha et la poussa. Surpris, il retint un cri : il y avait derrière cette porte un jardin ensoleillé, décoré d’une fontaine et de fleurs éparpillées dans une herbe douce et verte. L’écuyer se disait n’avoir jamais rien vu ni d’aussi beau ni de semblable. Émerveillé, il s’approcha de la fontaine, et s’aperçut qu’il avait soif. Il but, et se sentit heureux. Il se dit alors qu’il valait mieux remplir son cœur que ses poches, car une poche devient lourde si on la remplit quand au contraire un cœur s’allège d’être plein. Il emplit aussi ses yeux de la beauté du jardin et se sentit riche de la douceur qui en émanait. Alors, en souvenir de ce lieu magique, il cueillit une fleur, une seule, et se retira.
De retour dans la salle, il attendit longtemps son maître, mais celui-ci ne revenait toujours pas. Il remonta alors vers la grotte du dragon, afin de demander à celui-ci s’il savait ou était le chevalier. A son arrivée, le dragon, qui finissait sa nuit (car un jour et une nuit étaient passés) entrouvrit à nouveau un œil. Lorsqu’il vit la fleur dans sa main, il se mit à rire d’un grand rire qui fit trembler la terre autour de lui.
- Est-ce là ce que tu cherchais, petit ?
- A dire vrai, seigneur dragon, je ne sais pas ce que je cherchais. Mais les fleurs étaient si belles. . . Dites-moi, avez-vous vu remonter le chevalier mon maître ?
- Ton maitre cherche encore, parmi mes richesses, ce qu’il peut emporter. Je crains qu’il cherche ainsi pour l’éternité, ne trouve jamais et en meure. Car il écoute sa tête, et non son cœur. Toi, es-tu satisfait ?
Le garçon regarda sa fleur, qui paraissait briller de plus en plus, et sourit :
- Oui, je suis satisfait. Est-ce là votre trésor, seigneur dragon : la beauté qui ne flétrit pas, la joie qui ne meurt pas ?
- Tu es un enfant avisé, tu seras un homme sage et heureux. Tu sais maintenant, quel est le secret des dragons, mais tu ne dois en aucun cas le révéler : l’or n’est qu’un leurre. Ce que nous gardons, en vérité, c’est le secret de la vie…